Presse – Jean-Paul Gavard-Perret

DU LEURRE A LA LUEUR - CHARLES PAYAN ET L'APPARITION

Feinte d'incarnation, détour sont les deux opérations conjointes de l'image chez Payan. Entendons par là ce qui la fait accéder au statut de lieu où le visible transfiguré, transformé est livré au vertige virtuel comme l'être lui-même est offert à ce trauma perceptif là où d'une certaine façon celui-là est retourné comme un gant.

La réversion est pour l'artiste une question de seuil. Un seuil qui se chantourne sur lui-même : non seulement un dedans touche un dehors, mais le dehors est aussi une feinte du dedans (celle de l'incarnation citée plus haut). Il existe donc toujours chez Payan contrat virtuel là où l'image devient un seuil visuel paradoxal. Franchir ce seuil ne revient pas à trouver ce qu'on attend. Mais c'est ainsi qu'il indique un réel passage : il ne risque pas, sa frontière franchie, de rameuter du pareil, du même. Si effet de miroir il y a, ce miroir est un piège : l'œil devient veuf de ce qu'il espère ou serait en droit - d'attendre.

Payan n'a cesse de nous prendre par ces rites de passage dans un registre de la dénégation, manière sans doute de nous sortir de la psyché qui n'est rien d'autre qu'un tombeau. L'être supposé visible reste toujours chez lui et pour reprendre une expression de Bonnefoy "cet à jamais de silencieuse respiration nocturne". L'artiste nous situe par sa présence virtuelle autant hors du corps que de son simple fantôme.

En ce sens, chez lui l'image n'est pas l'apparence, elle n'est pas un rêve trouble mais un déni. L'artiste renverse ainsi la problématique de la Caverne et il y a là de quoi ravir Platon puisqu’est nié à la fois le pouvoir absolu de l'image est autant nié dans sa représentation que dans son écrin-écran. Certes on peut imaginer en intérieur une émouvante figuration mais ce n'est là tout au plus un leurre sur lequel pourtant peut se fomenter diverses spéculations dans une sorte de lumière qui est autant celle des cieux que des tombes.

Surgit en une telle approche effraction, violation de sépulture à travers lesquelles monte la lueur d'une vérité innommable au seuil de l'obscur et de la clarté, du dehors et de dedans, de leur mensonge et de leur vérité. Opaques comme le marbre des tombeaux, translucides comme l'ambre, les œuvres de Payan sont à la fois des fenêtres et des murs (par effet de pans). Elles nous enferment dans notre antre funéraire puis elles flambent de ce qui n'est pas la lumière exactement mais la lueur du vivant même lorsque sa présence fait défaut ou n'est que suggérée. 

Telle est donc la lueur du seuil chez l'artiste : un rythme visuel de l'arrêt et du passage, du levant et du couchant, du devant et du dedans. On peut ainsi parler d'un "réalisme" particulier celui de l'obscur qui procure dans le vide qu'il inclut jouissance et joie. Et là encore on peut rappeler  Bonnefoy à la rescousse lorsqu'il écrivait dans son voyage à Ravenne "je me réjouissais des sarcophages".

Chez ceux, plus "moelleux" et diversifiés de Payan, il existe toujours quelque chose de fin et de soyeux. Certains peuvent croire à de l'ornemental là où pourtant jusque dans la matière même il existe une sorte d'abstraction qui retient l'essence de l'être et du peu qu'il est en une conjonction de l'universel et du singulier, de l'émotion et de la pensée. "Sculptés" pour la lueur, ses seuils mouvants préfèrent aux arêtes vives des concavités plus subtiles : ils nous tiennent en respect et nous imposent le pouvoir de l'ornement comme celui d'une paradoxale ontologie visuelle.

Jean-Paul Gavard-Perret, critique d'art (Université de Savoie).