Presse – Jean-Paul Gavard-Perret

PAYAN : ESPACE D’ESPÈCE

Devant un bâtiment connoté du postmodernisme tels qu'entre autres Rem Koolhass et Nouvel l'ont instauré, bref devant une sorte de paquebot géant aux formes arrondies, Charles Payan impose son écueil "démontable". Manière de faire la nique au réel, d'offrir un contrepoint indispensable à une façon d'habiter l'espace et aussi de dire la précarité du réel et des choses. Car ce vaisseau (pas forcément fantôme) vient échouer vers ce qui l'exhausse. Ce n'est plus seulement sa propre architecture féminine qui s'impose par elle-même mais cette pointe pyramidale qui joue aussi sur les interstices de l'espace trouvant ainsi un glissement puis une avancée. La sculpture de l'artiste devient la célébration la plus probante à l'architecture puisqu'elle ne commémore pas mais ajoute sa "pointe" : elle a donc son mot à dire et à montrer, et ce, non au simple titre de l'ornemental, plaie endémique de ce qui s'attache à la sculpture de "paysage".

Dans la fragmentation, la stratification, l'éclatement qu'une telle structure engage, surgit un jeu rare sur l'équilibre et le déséquilibre sans quoi la sculpture n'est rien. C'est ainsi une sorte de nécessaire "offrande" que propose l'artiste dans la modestie de son approche : il n'impose rien. Et sa pyramide reste à ce titre l'inverse de celle de Pei pour le Louvre. Le créateur ne joue pas sur le registre de la majesté mais de la précarité (feinte) qui par le déséquilibre qu'elle instruit donne plus de force à l'ensemble de l'espace architectural. La sculpture ne se veut plus un simple répit ou repos du regard par rapport à cet espace. Elle n'est pas non plus sa transgression mais son point d'appui et d'aboutissement. Payan, plus qu'une tension (qui existe pourtant dans sa propre sculpture) de nature épique ou allégorique, crée une immersion dialectique : elle met en évidence la représentation de la monumentalisation de l'édifice et la précarité ou la vanité qui touche ce que l'homme construit dans son désir de laisser une trace. La "déconstruction" même de la statue elle-même en est l'indice. Et c'est ainsi que la fiction que génère toute oeuvre d'art permet d'offrir un autre regard sur le réel qui s'impose.

L'artiste suggère l'écart (irréversible ?) entre l'image et la chose, entre le lieu tel qu'il fonctionne et tel que la sculpture le fait fonctionner. C'est d'ailleurs une thématique récurrente chez Payan qui montre toujours le vide que le plein appelle en ses expériences de la dilatation ou de vidange du temps et de l'espace. Payan est un artiste de la perturbation qui remet en question l'enjeu de la représentation. Et il suffit du minimum d'étendue de son œuvre (face à celle du bâtiment) afin de créer l'inexorable itération de sa "figure". La pyramide (cadrée et décadrée à la fois) impose ainsi sa loi et renvoie un regard différent sur la majesté du bâtiment. Il n'est pas mis en abîme mais il le fait fonctionner dans l'imaginaire de celui qui s'en approche d'une autre façon. On n'est plus dans un effet de trompe-l’œil.

Face à la multiplication des lignes, aux lourds élargissements des masses de ce bâtiment se substitue un puzzle en trois dimensions qui en dit long sur ce que l'architecture produit comme effets, affects et percepts. Payan impose sinon une distorsion de l'objet architectural du moins un transfert d'optique dans la polyphonie d'étreintes de ses éléments épars-disjoints. La Pyramide superpose de la sorte aux prescriptions narratives une autre théâtralité : on sort d'une pure thématique abortive, on quitte la feinte de cérémonie. Un monde flottant apparaît. Sur la pointe de la pyramide comme sur la pointe d'un sein - source "lumineuse" ou point de vue - une unité de sens est détruite. On quitte la capture architecturale dont parle Deleuze. L'intensité produite par un tel contrepoint n'est plus induite par la "diègèse" revendiquée et appelée par le bâtiment-mère. La sculpture-père (phallique même si ce phallus est démonté) déplace l'objet du désir et permet de transformer le réel en figuré : le figuré devient ce réel sur lequel le réel ne peut plus se plaquer. L'artiste rappelle que la sculpture comme l'architecture se constitue certes dans le sensible mais aussi par le sensible et c'est ainsi qu'elle peut trouver ce que Carl André appelle "sa seule harmonie" qui, et Payan nous le prouve, n'est jamais imitative. 

Jean-Paul Gavard-Perret, critique d'art (Université de Savoie).