Presse – Jean-Paul Gavard-Perret

SUR CHARLES PAYAN

Le neutre est une menace pour la pensée qu'elle soit logique, intuitive, mystique. Le neutre passe aussi par l'image quand elle ne tourne pas vers l'union de l'être au monde mais vers ce qui les disperse de sorte que le point central où créer nous attire est une absence de centre et d'origine. C'est pourquoi toute image - dans la neutralité de ses signes - est d'abord inqualifiable. Mais avec les "images" de Charles Payan, on passe de l'enquête à la quête dans le désir de maîtriser le "nom" auquel le neutre se plie en ses images muettes qui ne sont rien, n'étant pas ceci et pas cela ni ceci et ni cela, étant impropres, asymétriques dans un balancement à vide.

Pour Charles Payan il s'agit de traverser la réserve du silence par ses images en réserve de pulsion de vie à travers leur minimalisme, par des sortes d'apories qui deviennent des échos du monde dans une étrange dérive qui mêle sans les confondre le monde et sa re-présentation tout en les rapprochant comme si aucune antériorité de l'une et l'autre n'était marquée. Ne s'identifiant à aucun modèle Payan crée de la sorte un étrange tissu autobiographique : un " je " s'érige dans un rapport du monde et des images : l'émotion de leur rencontre construit les figures d'une sorte d'autobiographie.

Dès lors, chez l'artiste, celui qui crée ne sait pas qui il est sinon en ce que Blanchot nomme " l'amitié " avec le monde qu'il recueille dans l'inconnu où les images l'accueillent. Toute la simplicité de la vie passe ainsi par cette recherche des images les plus nues en des structures "communiantes" plus que "communicantes". Chaque image dans son empire de signes devient une variation sur le frêle et l'éphémère dans une poétique iconographique qui ne peut se traduire en " discours ".

L'imagerie de Payan est ainsi une miction claire qui se retrouve dans le monde à travers l'émotion. Sa projection n'est nullement imaginaire et ses images ne sont pas "poétiques" :  elles sont le désir et le désert du je au monde en sa pure et sobre lecture. Ainsi, les " images " transitives du créateur complète, supplante le :monde dans un mouvement d'amour - telles des compléments sans verbes mais avec le mouvement dans son immobilisation.

La vie s'absorbe structuralement dans le désir d'image qui forme le thème biographique, " érotographique " de l'être face au monde au moment où la création semble disparaître de notre culture active au profit de ce que nous nommons le concept. A ce dernier Payan redonne une séduction, une élégance, un scrupule. Ses images deviennent le même du monde pour s'y dépasser en son énigme. Elles le caressent, le distinguent de sa glu à travers alors ce qu'on peut appeler la voix des images.

Est-ce à dire que l'image sauve le monde, sauve le je dans l'instant présent mis en extase ? On ne peut l'affirmer. Mais alors que le neutre efface le monde dans un chant devenu blanc, Payan évoque une sorte de " cantation " qui est présence du monde. C'est aussi un mouvement de sortie de soi, de perte de soi par rapport à ce que le monde y fait entrer et qui est restitué par une œuvre qui dans son langage devient " flûte enchantée ". Cette dernière devient de plus en plus ensorcelante à mesure que le temps de la mort (vieillesse) approche. C'est à ce titre que la biographie paradoxale chez Payan ne serait pas tout compte fait une question d'image mais une question de chant. Il faudra donc faire un jour le portrait de l'artiste en chanteur de babel canto.

Jean-Paul Gavard-Perret, critique d'art (Université de Savoie).