A l’occasion de l’exposition collective « Le Multiple »
Galerie du Larith (Chambéry) – 2008
ECHANTILLON 2008 Dans une petite rue, un peu à l’écart de l’agitation citadine, l’étroite et tortueuse Galerie du Larith accueille les productions multiples d’artistes de la région Rhône-Alpes. Des genres très différents se côtoient pour créer une espèce d’espace plastique que parcourent interrogations, recherches, affirmations et trouvailles. Chacun a réalisé sa mise en place dans une relation optimale avec ses voisins dans cet espace exigu qui oblige à une gymnastique parfois productrice d’intéressantes proximités. Ainsi, les personnages de Sylvie Menard suspendus au-dessus de l’épandage de coton de Sandrine Bernard créent une scène burlesque à l’entrée de l’exposition : débandade de personnages accrochés les uns aux autres, telles les grappes de fourmis Eciton, multipliant les contorsions pour échapper au danger d’un cloaque de disques démaquillants. Chacun pourra se raconter une histoire, il serait étonnant qu’elle soit triste. Plus à l’écart, énigmatiques et un rien angoissantes, des photos de Christine Coblentz nous exposent à des nuées étranges dont on ne saurait dire ce qu’elles sont — espaces grégaires, point de vue de Sirius sur des hommes en pèlerinage ou encore des fourmis au dépeçage — des histoires naîtront de ces contemplation, probablement des histoires d’humanité triste. Ailleurs, des photos encore, composées, répétées, transformées. Multiples, comme y invite le thème de l’exposition. D’Hugues Seguda, des séries de visages noirs et blancs d’une mère et de ses filles, trois séries uniformes au décalage près d’un regard bleu. De François Fery la répétition d’un regard dans une composition diagonale opposant fixité et mouvance. De Brigitte Baldaquino Helies, des portraits à la daguerréotype dont au contraire des images de jadis le sujet se dissipe en des postures désinvoltes. Et bien d’autres choses encore, dont les décompositions et recompositions méticuleuses de Jennifer Brial pour créer des cartes rigoureusement dépourvues de sens pour des espaces sans existence. Au centre géographique de l’exposition, le distributeur d’œuvres d’art du collectif européen « un certain détachement » conjugue la remise en question de la place de l’art dans le cycle production↔consommation et l’affirmation de la possibilité d’amincir un peu plus encore la frontière entre œuvre et objet, entre artefact artistique et produit manufacturier. Ce dispositif renouvelle, sous une forme originale, la question des rapports de l’art et de l’argent, mais peut être aussi la question singulière de la chose artistique au sein de la production humaine. La nature de cet automate, un distributeur automatique comme on le connaît pour la nourriture, implique un formatage qui découle de son usage : calibrage de l’espace des petits réceptacles accueillant les œuvres, calibrage économique d’une gamme de prix préfixée, calibrage de la série et du stock. Problématique que l’on pourrait explorer à partir de l’exemple de la série de têtes d’Alain Quercia. La présence de ces œuvres affirme la possibilité d’une création à la fois singulière et reproductible, elle crée aussi le risque d’une banalisation marchande en écho d’une œuvre dont le sens et la richesse se trouvent hors de tout calibrage. D’autres questions interpellent le regardeur : l’acquisition d’une œuvre d’art et sa propriété ne peuvent être réduites à la possession d’un objet. L’œuvre possédée est au point focal de multiples tensions : valeur de l’effort d’acquisition, relation singulière nouée entre l’artiste créateur et l’acheteur regardeur, et surtout l’aboutissement d’un désir assumé. Il y a dans l’acquisition d’une œuvre d’art le sentiment d’une aventure faste et folle. Mais peut être s’agit-il là d’une vision réactionnaire et élitiste que l’avènement du nugget art remettra en question. De quoi laisser dubitatif les poissons de Charles Payan qui roulent des yeux ronds en nous scrutant. On ne voit pas immédiatement le mouvement de l’œil lorsque l’on s’approche de la toile, ou de la photo, ou… on ne sait pas immédiatement, puis on remarque le mouvement du globe oculaire. C’est donc une vidéo. On s’attarde dans l’attente d’une suite pour comprendre finalement que l’essentiel n’est pas dans ce qui est montré, mais dans la relation établie entre l’œuvre et le regardeur. Renversement des rôles : le regardeur devient le regardé, l’observé, l’inspecté, l’ausculté. La force de cette œuvre, dont une image ne rend que pauvrement compte, est dans la création d’une situation. Alors que les photographies de Christine Coblentz, voisines d’accrochage, nous placent au coté de l’artiste pour faire naître en la regardant de très loin une réalité que nous n’avions pas imaginée, la vidéo de Charles Payan nous fait face, et nous interroge impérativement sur notre réalité, notre place. L’œil du poisson offre un point de vue étrange que le photographe connait bien : il embrasse un vaste paysage au centre duquel il nous dresse en nous donnant une importance grotesque. Mais pour qui le regardeur se prend-il ? Lary Stolosh (blogueur d’art) Source : https://lary-stolosh.fr/2008/12/29/echantillon-08/