Presse – Lary Stolosh 2009

A propos de l’oppressante légèreté (2003)

L'ART DU FRANCHISSEMENT

L’installation retenue par le dictionnaire des plasticiens en Dauphiné pour illustrer l’œuvre de Charles Payan joue sur l’opposition entre l’incertitude d’une forme flottante dans l’espace et la présence de blocs solidement ancrés au sol. Des blocs qui matérialisent une mise en perspective dont le point de fuite ramène au premier plan l’empreinte indécise d’une ombre animée. De la collision entre matières, virtuelle et tangible, entre mouvement et inertie, nait le sentiment d’une « oppressante légèreté ». Évocation d’une disparition ou au contraire d’un souvenir, une réminiscence, un chagrin ou un désir. L’ombre… que cela est mal dit. C’est sur la lumière et non sur l’ombre que cette œuvre se construit. Et pourtant c’est à l’ombre que l’on pense d’abord. Une ombre que les blocs retiennent, des blocs auxquels elle donne toute leur puissance. La photographie renforce ce malentendu. Elle saisit un instant parmi ceux possibles qui, pour une raison ou une autre, se seraient imprimés dans la mémoire du regardeur. Cette tranche découpée dans le cours du temps ne livre pas toute la force de l’œuvre. Un film nous rapprocherait mieux de la réalité, même s’il nous fait subir le biais d’une prise de vue particulière, d’un cadrage qui oblige l’œil, d’une fluidité de l’image sous le contrôle contingent des débits numériques. Enfin, voici…

Le mouvement, sculpture dans la matière du temps, modifie les rapports de force entre les composants de l’installation. L’ombre-lumière s’impose au regard qu’elle interroge et à l’esprit qu’elle défie, sa chorégraphie balance entre absence inéluctable et espérance improbable. Les blocs confortent leur rôle pivot. Point sur lequel on revient lorsque le regard vacille, lorsque l’on décline l’invitation à entrer dans cet autre espace où déjà a pénétré le regard du plasticien. Point d’où l’on repart pour se libérer d’une oppressante ignorance : que nous dit la lumière ? Quel passé, quel futur son éclat incertain fait-il surgir ? Ombre-lumière capturée par l’émotion du créateur, domestiquée par les contraintes technologiques, mise en spectacle pour être livrée au regardeur dans la pureté authentique non de ce qu’elle fut mais de l’émotion qu’elle provoqua.

Charles Payan nous précède aux confins de nos émotions, de nos sensations, de notre intelligence du monde. Aller au-delà de la raison pour comprendre notre raison d’être, paradoxe des incursions opiniâtres du poète dans l’abîme de nos ignorances, insensibilités, indifférences. Il se confronte au vrai à mains nues, sans précautions rhétoriques, lui qui connait si bien le prix de la preuve. Ses explorations sont plus aventureuses que celles des philosophes et scientifiques. Pourtant, lorsque nous le rejoignons, de l’autre coté des frontières de la connaissance, ce qu’il nous donne est aussi solide que les savoirs les plus universels. Dans la lumière, synthèse du temps et de l’espace, substance insaisissable et indépassable, chair même de l’âme, il forge les lois d’un art du franchissement.

Lary Stolosh (blogueur d’art)
Source : https://lary-stolosh.fr/2009/04/03/lart-du-franchissement/