Presse – Lary Stolosh

A propos du travail de Sevdalina Preslava (nom d’emprunt de Charles Payan)

LES TROBARS GRAPHIQUES DE SEVDALINA

Au milieu des années 60, Gherard Richter considérait la photographie comme une copie objective et sans style de la réalité. Il en était «désolé», pensant qu’elle ne pouvait dès lors n’être promise qu’à une «existence misérable». Au fond, forme idiote de narration, la photographie ne donnerait à voir que ce qui est montré. Une telle conception a cent fois été contredite par les plasticiens de la gélatine, de l’argentique puis du numérique. La photographie, comme technique, a la même puissance que la peinture mais avec un pouvoir d’exploration de notre monde d’une autre nature. Sevdalina Preslava le découvre au cours de sa période d’apprentissage au contact des œuvres du groupe Kazanlak’85 : comme le bloc de pierre, la pièce de bois ou la pâte colorée, la matière qui révèle l’image peut être travaillée pour témoigner d’un regard, d’une vision ou d’un sentiment. Plus encore, comme la pierre, le bois ou la pâte cette matière peut être explorée pour elle-même, pour ses interactions propres avec le regard et la main du plasticien.

C’est cette voie que suit Sevdalina Preslava. Ses premières créations reprennent des images classiques, par exemple celles de Kertesz, pour les analyser au filtre d’une reconstruction conceptuelle et technique qui peut rappeler les efforts de l’abstraction. Ces premiers pas sont timides. Ils ne sortent pas du cadre figuratif classique. Une rupture créative s’accomplit lorsqu’elle comprend l’hégémonie des problématiques de la lumière sur la photographie du XX° siècle. Richter affirmait que la photographie n’a pas de spatialité parce qu’elle n’est qu’image, Preslava affirme la présence dans l’image contemporaine du temps et de l’espace au-delà du témoignage narratif que livre la technologie à l’immédiateté du regard humain.

La série Bacon de 2009 [*] engage ainsi une exploration du temps en exploitant le traitement temporel et chromatique de l’image télévisée. Il en ressort une autre réalité, de nouvelles ressemblances dont la puissance remet en question notre perception ; certains penseront à Muybridge plus qu’à Bacon. La série Abri bus réalisée en 2010 explore une image jusqu’ici inimaginable de notre monde. L’assemblage au serti invisible, sans bord ni temporalité, d’instantanés numériques permet de glisser, sur l’écran d’un ordinateur, la pointe du curseur dans un monde que nous reconnaissons mais qui, pourtant, n’existe pas. Monde et existence virtualisés. Dans ce paysage improbable la présence humaine, privée de signification, n’est plus qu’un impondérable. Il ne reste que des contours, des lignes, des couleurs. Une image réduite à des formes sans intention qui cependant et paradoxalement découvrent à nos regards d’autres intelligibilités. Des trobars nous suggérerait Yves Bonnefoy. Des trobars graphiques exhumés par Sevdalina Preslava du fond d’un monde fossoyé par la technologie, dont nous ne savons pas encore ce qu’ils nous apprennent.

Qu’évoque en nous cette image d’un homme sans tête absorbé dans une lecture au voisinage d’un rectangle jaune vif qui ouvre le sol ? Au-delà de l’esthétique des formes et des couleurs, la touche impressionniste que l’artiste retient, peut-être une métaphore dont Edward Hopper aurait eu la clé. Sevdalina Preslava nous invite à une excursion philosophique.

Lary Stolosh (blogueur d’art)
Source : https://lary-stolosh.fr/2011/01/30/les-trobars-graphiques-de-sevdalina/