Presse – Lary Stolosh 2015

A l’occasion des installations dans la Grange Dimière (Le Pin, Isère)

UNE SITUATION, DES CHOSES ET DES OBJETS, ET LE VISAGE DU REGARDEUR

Les beaux-arts ont laissé la place aux arts visuels, le peintre et le sculpteur au plasticien. Affranchi de l’obligation de la représentation, des cadres et des matières académiques, l’artiste a gagné le privilège du libre choix des moyens pour exprimer la réalité ineffable qu’il habite. Le choix de Charles Payan est celui exigeant de la parcimonie des effets, de l’économie des moyens.

bien placés bien choisis / quelques mots font une poésie.

Il assemble les formes et les matières, laisse les objets et les choses entrer en résonance, accompagne discrètement l’émergence d’une musique silencieuse qui guidera le regardeur ; jeu sur les associations et les contrastes, le lourd et le léger, le sombre et le lumineux, le plein et le vide, le noir et la couleur, le silence aussi. Il procède par discrets ajustements, ajouts et retraits. Le lieu, d’abord cadre obligé, devient un partenaire de la création. L’espace monumental de la Grange Dimière absorbe ce que l’artiste apporte, puis se fond dans l’œuvre pour devenir l’espace d’une expérience dont le point de départ est une émotion.

L’émotion peut se définir comme une séquence de changements intervenant dans cinq systèmes organiques (cognitif, psychophysiologique, moteur, dénotationnel, moniteur), de manière interdépendante et synchronisée en réponse à l’évaluation de la pertinence d’un stimulus externe ou interne par rapport à un intérêt central pour l’organisme (source encyclopédie Wikipédia)

L’œuvre est d’abord matérielle, concrète. Inscrite dans le réel, elle est une nouvelle réalité, l’accomplissement d’un possible pour une possible expérience. Charles Payan nous rappelle que notre esprit et notre corps nous constituent également, en étroite interaction mais aussi comme deux univers singuliers porteurs de vérité, de connaissances sur nous-mêmes et sur le monde. Pour cela, pas de tour de force ou d’imposante construction, il met le geste créateur en retrait pour laisser la place à la situation.

les mots il suffit qu’on les aime / pour écrire un poème

Aimer les formes et la matière, la couleur, le mouvement ou son absence, c’est être attentif ; c’est être sensible à la légère vibration qui atteste la congruence de leur présence et de notre disposition. L’émotion nait de là. Elle nait exactement de la perception de cet élan d’une révélation qui advient. Touché, le regardeur s’ouvre tout entier à la contemplation, la méditation puis la réflexion parce que l’esprit toujours en embuscade ne peut manquer ce moment : pourquoi cette émotion plutôt que rien ? Que nous signifie l’artiste ? Quel est le sens de cette rencontre ? Coïncidence ou nécessité. L’œuvre a-t-elle une signification ?

La signification d’une œuvre est sa structure intentionnelle créée par l’auteur, sa signifiance est la mise en relation de cette signification avec les préoccupations, intérêts, manières de voir, etc. du récepteur (source encyclopédie Wikipédia)

Charles Payan a apporté les matériaux, créé les objets, occupé le lieu. Tout est là. Tout est disponible comme lorsque l’environnement se transforme en paysage, ce ravissement particulier dont aucune explication ne donne raison. Il n’y a pas d’intention autre que l’attention de l’artiste au passage d’une évidence intérieure et diffuse à celle d’un fait situé et daté. Pas de message. Pas de propos sur le monde. Pas de concept ni de précepte. À vrai dire, n’y a même pas d’évidence intérieure mais seulement celle de la nécessité d’aller où l’on va, de faire ce que l’on fait.

on ne sait pas toujours ce qu’on dit / lorsque naît la poésie

On pouvait naguère compter sur le cartel, mais limité aux informations factuelles, il ne répond que de plus en plus rarement aux questions du regardeur sur le sens de l’œuvre. Sans titre est devenu le titre commun. Information aussi laconique que paradoxale : est-ce l’indication qu’il n’y a pas de titre ou que justement le titre est « Sans titre », l’œuvre représentant cette absence ? Peut-être « Sans titre » est-il choisi pour renvoyer le regardeur à lui-même, abandonné avec pour seules informations les dimensions, la nature du support et le détail des matières d’une technique mixte. Charles Payan le confirme en toutes lettres et belles calligraphies. L’œuvre est sans titre, sans nom, en quelque sorte anonyme dans le grand catalogue des œuvres contemporaines. Il ne reste que ce qui est là, sous les yeux du regardeur, autour de lui et finalement en lui au fil de la visite : dans le grand axe de la Grange Dimière deux longs bassins remplis d’eau, deux longs miroirs dans lesquels se reflètent des combinaisons blanches suspendues sous la charpente, et le  visage du regardeur. Et le visage du regardeur…  le sentiment vacille entre émotion et interrogation, le cœur s’éveille pour saisir l’expérience.

Lary Stolosh (blogueur d’art)
Source : https://lary-stolosh.fr/2015/07/03/une-situation-des-choses-et-des-objets-et-le-visage-du-regardeur/
PS : Citations : les vers, texte en italique, sont extraits de « Un poème », Raymond Queneau, L’instant fatal, éd. Gallimard, 1948).