Presse – Lary Stolosh 2017

A l’occasion de l’exposition Guidé par le hasard – Sevdalina Preslava – Espace Aragon (Villard-Bonnot, Isère)

CHARLES PAYAN, GUIDÉ PAR LE HASARD 

Jadis, MAGASIN, Centre National d’Art Contemporain, organisait chaque automne un concours ouvert aux artistes qui avaient un lien avec la région Rhône-Alpes. Un jury réalisait la sélection de vingt à trente dossiers parmi ceux soumis par les quatre à cinq cents candidats. Les œuvres étaient exposées lors de l’Exposition de Noël de début décembre à début janvier.

Charles Payan remarque qu’il ne connaît pas de lauréats parmi ses amis dont pourtant il savait que plusieurs avaient candidaté, certains plusieurs fois. Son étonnement le conduit à décider de soumettre un dossier en 2009. Ce fût sans succès. Le jour du vernissage de l’exposition, il comprend en découvrant les œuvres qu’il y avait probablement un profil plus favorable que d’autres : inscription claire dans le mouvement de l’art contemporain (voire « AC »), ne pas être trop loin de la trentaine. Il décide de réagir…

En 2010, il crée le personnage de Sevdalina Preslava, artiste bulgare qu’il fait naitre en 1976 sur les bords du Danube. « Elle » soumet un dossier. Elle est sélectionnée !

Sevdalina ne ressemble à Charles Payan ni par son parcours, ni par son œuvre. Il semble qu’il y ait une rupture entre l’artiste et son double. Au fond, si Sevdalina est un personnage de circonstance taillé pour le succès, l’œuvre le serait-elle aussi ? Tel n’est pas le cas. Les œuvres de Sevdalina sont authentiquement celles de Charles Payan ; elles prennent toute leur place dans une histoire commencée au début des années soixante-dix, qui ne cesse d’explorer les voies de son temps, poussée par une quête intranquille.

Le travail de Charles Payan a pour point de départ une peinture très matérielle qui manipule la couleur et les matières avec une grande économie qui le mène à l’Arte povera, puis il évolue vers les installations incluant le Land art ; enfin la vidéo pour elle-même ou au sein d’installations. Dans tant de diversité, quel sens ont les images de Sevdalina ? Cette question de la cohérence aurait pu lui être posée à d’autres moments de son parcours artistique ; à dire vrai, elle a parfois été murmurée… il est si commun de vouloir associer un artiste à un style, une marque de fabrique.

Alors que la matière de l’œuvre l’ancre dans le présent et l’espace, la perception fait émerger autre chose que sa seule inscription dans le réel. Les œuvres de Charles Payan, quelles que soient les techniques qu’il choisit, naissent du questionnement de cette tension entre leur matérialité et leur  sens qui puise sa source dans le temps et la mémoire. La série Sevdalina Preslava explore ce rapport au temps, en travaillant un matériau dans lequel la représentation parait échapper à sa nature tangible  – ne parle-t-on pas du monde virtuel d’Internet ? À la fugacité et à l’immédiateté d’Internet, les œuvres de cette série opposent la lenteur et la présence de la peinture par une réappropriation de la matérialité de l’image.

C’est après avoir aperçu une femme assise seule à un arrêt de bus et avoir capturé cet instant que Charles Payan explore les abribus sur Google Street View, et en tire les images présentées à l’Espace Aragon sous la signature de Sevdalina Preslava. Un hasard. Le hasard auquel s’en remet le regard confiant qui captera dans l’encreux fragile d’un instant ce qui peut faire sens et que le travail révélera. Ce hasard, compagnon et complice de l’artiste, réunit pour le regard disponible la perception à la signification sans qu’aucune intention n’en soit à l’origine. Et pourtant… pourtant s’impose l’évidence. Ainsi, il y a quelques années  des combinaisons jetables accrochées dans l’atelier captent un rayon de soleil. Évidence d’une présence… elles sont bientôt le secret de la spiritualité de l’installation dans l’église de Saint-Pierre de Marnans en 2010, puis à la Grange Dimière en 2015.  L’univers de Charles Payan est  façonné par le temps et la mémoire, sa complexité désarme l’intention et la raison. Il reste le hasard pour guide, c’est-à-dire la confiance dans la capacité du regard à saisir, avant qu’on le sache, ce qui fait sens. Et peut-être, à cet instant-là, trouver la réponse. Trouver cette vérité que l’art permet de révéler au-delà de la connaissance. La série Sevdalina est une étape dans cette quête.

Lary Stolosh (blogueur d’art)
Source : https://lary-stolosh.fr/2017/12/09/charles-payan-guide-par-le-hasard/