Presse – René Déroudille (critique d’art)

PERCEPTION AMBIGUË DE C. PAYAN  
A l’occasion de l’exposition du Musée de Mâcon (1984)

L’œuvre d’art, chacun le sait, existe uniquement grâce au regard des autres. Encore convient-il que cette perception soit matériellement assurée, réponde, si l’on peut s’exprimer ainsi, à une règle du jeu dont il ne faut pas transgresser les règles. C’est pourquoi, au moment où l’on trouble, voire, où l’on renverse l’ordre des facteurs traditionnels, les créations de l’artiste prennent un sens différent, orientent la perception, sinon vers des contrées inconnues, du moins dans un sens riche de réflexion. 
Ce précieux exercice perceptif est celui choisi par Charles Payan dont quelques trop rares œuvres sont présentées, jusqu’au 26 août, au Musée des Ursulines de Mâcon. Comme l’écrit avec brio, dans la préface du catalogue Jean-François Garmier, conservateur de ce magnifique musée de Mâcon, l’œuvre d’art n’est plus une affirmation : " en cette fin du XXe siècle, elle devient question, question dans un monde où toutes les données traditionnelles ont été bouleversées ". 
C’est pourquoi si l’on aborde les toiles peintes, les espaces sablés de Charles Payan en utilisant un code inadapté à leur lecture, on risque de passer à coté de cet artiste et de commettre à l’égard de ces travaux de redoutables non-sens.
Question, selon la juste définition de Jean-François Garmier, les travaux de Charles Payan s’adressent à notre conscience paresseuse. Nous le savons depuis longtemps, les phénomènes quotidiens sont plus connus qu’observés. Pourtant leur perception assumée avec curiosité peut procurer des sensations autres. C’est pourquoi, afin de faire prendre conscience à l’observateur de la rapidité de sa vision, et surtout de sa prise de conscience trop rapide des phénomènes, Charles Payan met devant nous des témoignages où notre vision se brouille, se trompe, si elle ne sait pas se détacher de la mémoire. 
Sur le mur du Musée de Mâcon, Charles Payan dispose des toiles décolorées représentant la vision floue d’une fenêtre. En même temps, comme s’il désirait montrer l’ombre portée de ces baies, il dispose sur le sol du sable tamisé reproduisant le reflet de ces fenêtres. La vision pratique de l’observateur est telle qu’il ne perçoit pas ou presque pas l’artifice et ne voit pas l’ambiguïté de la question posée par l’artiste. 
Sur le sol six grandes bandes de toile imprégnées de goudron dessinent une sorte de croix disposée sur un sable poudreux. Le territoire désigné ainsi par l’artiste possède sans aucun doute les dimensions matérielles choisies par Charles Payan. Pourtant la disposition des formes permettent à l’imagination de dépasser leurs limites et de concevoir ainsi les pouvoirs de l’imaginaire. Degas, devant les travaux des cubistes affirmait que  ces jeunes gens faisait autre chose que de la peinture. Charles Payan est conscient, lui aussi, de dépasser les positions assurées de l’habitude, pour chercher ailleurs les moyens d’affirmer sa participation au monde.  

René Déroudille, critique d’art.